Première partie des Profonds mystères de la Cabale divine par Jacques Gaffarel.
Introduction de Marc Haven
Le livre de Gaffarel : Abdita divinae Cabalae mysteria, dont notre ami ben-chesed vient de nous donner une excellente traduction, n’est pas seulement précieux par sa rareté insigne : il l’est encore et surtout par sa valeur instructive.
On sait ce qu’était Gaffarel : né en 1601, en Provence, docteur en droit canon en 1626, il fut bibliothécaire du cardinal de Richelieu, puis aumônier du roi, et mourut abbé de Sigonce, dans le beau pays où il était né. On le connaît par ses Curiosités inouyes ; mais on ignore en général ses autres ouvrages mystiques : sa Paraphrase du psaume CXXXVI, son De Fine Mundi, traduction du traité cabalistique de Rabbi Elcha ben David (1629), son Index Codicum Pici Mirandulae, répertoire du Zohar (1661), son Nihil fere Nihil (1635), qui avec l’Abdita divinae Cabalae (1625) sont en effet des plaquettes introuvables et que peu de bibliothèques possèdent. Gaffarel joignait à l’érudition le désir de convaincre : on dit que le cardinal de Richelieu comptait sur lui pour l’aider à accomplir son rêve de la réunion des religions.
Les Profonds Mystères de la divine Cabale contiennent-ils tous les trésors de la mystique hébraïque ? Non, certes, et ce n’était ni le but ni la prétention de l’auteur ; mais ce traité prépare à l’étude des textes sacrés, attire vers ces recherches les esprits encore ignorants de toute exégèse cabalistique en leur démontrant, d’une façon indiscutable, qu’il y a des mystères dans la « Thorah », qu’il existe une science de ces arcanes, que les voies de la Kabbale mènent aux portes du Ciel.
Ce livre est donc écrit pour des profanes, contre les détracteurs de la Kabbale, pour justifier son existence et prouver sa valeur. Considéré à ce point de vue, il est admirablement fait, très conforme à son but. Il est à lire et à classer dans sa bibliothèque à côté des Philippe d’Aquin, des Reuchlin, des Pic de la Mirandole, parmi les anciens ; non loin de Drach, de Molitor, du Tarot de Papus, parmi les plus modernes.
Préparé par la lecture de ces auteurs, l’étudiant pourra ensuite se permettre l’étude des textes eux-mêmes, du Sepher Ietzirah et du Zohar, tous deux traduits en français aujourd’hui : alors, s’il est appelé à la vie spirituelle, ces pages lui deviendront lumineuses. Mais il s’attaquerait en vain à ces études, s’il n’a tout d’abord lu et assimilé les ouvrages préparatoires que nous avons cités, s’il n’a assoupli son cerveau aux formes hébraïques, habitué son âme à la vie mystique. Le Zohar lui resterait lettre close, même s’il se bornait à faire œuvre de critique ; c’est ce qui arrivé aux Franck, aux Karppe, gens de mérite, respectables érudits cependant. Les textes de la Kabbale restent ignorés, la doctrine secrète aussi cachée après leur vulgarisation qu’elle l’était auparavant. C’est le destin et la glorieuse caractéristique des mystiques d’être insaisissables à la foule, impénétrables aux savants ; toute incursion dans leur domaine, toute dissection, toute explication n’atteint rien de leur réalité ; historiens et critiques demeurent à la porte, examinant les ronces ou les sculptures qui la recouvrent, grattant le sol devant l’huis fermé, et lorsqu’ils se retirent, croyant avoir exploré, décrit et suffisamment profané le sanctuaire, le temple, inviolé, garde pour les enfants d’amour son magique parfum et ses profonds secrets aussi purs qu’avant leur vaine incursion dans ces régions qui ne peuvent être les leurs.
Celui-là seul pénétrera les mystères de la Kabbale et verra les lettres de feu qui aura été élu et dont les yeux se seront usés à force d’avoir veillé et pleuré, dont les cheveux auront blanchi, dont le cœur sera à Jérusalem, dont les pieds auront foulé le sol sacré sous les cèdres du Liban. Celui-là, se souvenant du chemin parcouru, des livres initiatiques devenus inutiles pour lui, en parlera à ceux qui le suivent sur la route ; loin de les rejeter, il en proclamera la vertu ; il citera le nom de Gaffarel avec celui des ancêtres qui lui furent bienfaisants, et le jeune chercheur, alors, sera joyeux de trouver sous sa main les Profonds Mystères de la divine Cabale pour les méditer, les scruter et faire, grâce à eux, un pas de plus vers les cimes où resplendit la Vérité tri-une.
Dr Marc Haven
Profonds mystères de la Cabale divine par Jacques Gaffarel
Abdita divinae Cabalae mysteria (1625)
Traduit pour la première fois du latin par Samuel Ben Chesed
De tous les bienfaits, même les plus grands, qu’un Dieu très bon, très puissant, ait jamais accordés aux hommes, j’estime qu’il n’en est point de plus précieux que la connaissance de ces moyens sûrs, éprouvés, immuables, qui permettent d’arriver à cette Patrie céleste, but de nos désirs.
Grâce à eux, brûlant de l’amour divin, languissant d’amour, dirai-je avec l’épouse [1], on arrive, par une très heureuse évolution, jusqu’à cet amour béni, éternel, qui n’est autre que Dieu lui-même. C’est pourquoi les apôtres affirment que l’Écriture sainte, inspirée de Dieu, nous a été transmise comme la voie sûre, comme le sentier direct pouvant nous conduire au salut.
C’est par elle que nous discernons clairement la volonté divine, immuable. En la discernant, nous l’observons ; en l’observant, nous l’aimons, et, en l’aimant, nous assurons notre bonheur.
O enviable béatitude ! délicieux amour ! heureuse soumission ! ô très divine Écriture ! Tu nous fais serviteurs de Dieu, les héritiers du Père éternel, les cohéritiers du Christ, les commensaux des Saints ! Tu nous sacres citoyens de la Jérusalem céleste, tu assures notre bonheur pour l’Éternité !
C’est toi qui, dans cette vallée de misères, où, soumis aux fatigues de toutes sortes, condamnés à la douleur, nous traînons une vie qui est plutôt une mort lente qu’une brève existence, c’est toi qui nous consoles par l’espoir de l’Éternité !
C’est toi qui élèves tant de justes, tant de saints à une vertu si haute, qu’on peut les comparer aux Anges ! Toi qui, aux dires de saint Bernard, es leur enseignement le plus élevé, les fais atteindre jusqu’aux cieux, les rends semblables aux Anges, qu’ils égalent en pureté.
C’est toi qui, au milieu des solitudes les plus inaccessibles, dans les cavernes, les grottes, les repaires les plus remplis d’horreur, c’est toi qui les inondes d’une joie indicible, les réconfortes et les soutiens par l’espérance d’une éternelle félicité !
Et pour remonter plus haut, c’est toi encore qui, en les assurant de la venue du Messie, fus la consolation de ces Ancêtres reculés, qui par suite de la tache originelle léguée par notre premier père, ne cessaient de gémir et de répéter au milieu de leurs larmes : « Ciel, répandez sur nous votre rosée, et que le juste descende des nuées, comme une pluie bienfaisante ! Que la terre s’ouvre et donne naissance au Sauveur ! »
Et tous ces généreux, ces invincibles athlètes du Christ ; ces Vierges timides qui, sans défaillance, avec un courage surhumain bravaient les bûchers, les lames rougies au feu, la roue, les chevalets, la hache du bourreau, ainsi que tous les autres supplices mis en œuvre par la tyrannie, et cela, pour conquérir la palme de la gloire céleste, n’est-ce pas toi, enfin, qui inspirais, qui soutenais si heureusement, si puissamment leur généreuse résolution ?
Mais, si dans le temps de misères que nous traversons, il n’est pas de meilleur moyen, pour assurer la tranquillité de notre vie, la paix de notre esprit, que de suivre scrupuleusement les enseignements de l’Écriture Sainte, seule véritable lorsqu’on remonte à sa source la plus pure ; par contre, rien ne peut influencer plus pernicieusement notre esprit, que dis-je, rien ne peut troubler plus profondément notre âme que cette Écriture, règle de notre vie, lorsqu’elle a été altérée, corrompue, et qu’il n’est pas possible de la suivre, de l’observer, sans tomber dans la contradiction et dans l’erreur.
C’est ce qui arriva, dit-on, peu après la Passion du Christ, notre Sauveur. Les Juifs frappés d’aveuglement, dénaturèrent à ce point, dans leur ignorance, ce texte sacré que presque tous ces passages, où les mystères de notre Rédemption étaient clairement exposés, devinrent obscurs et incompréhensibles. Tels furent ces faits, bien que certains Pères, dans leurs écrits, protestent contre cette assertion. Ce fut, hélas, la première atteinte du mal, et depuis lors, grâce à une certaine ambiguïté des mots, chacun commença à interpréter à sa façon la très sainte parole de Dieu. Il y eut autant de versions que de traducteurs ; et, chose plus déplorable encore, la foi varia selon les individus, la doctrine selon les usages de chaque peuple. Les choses en vinrent à ce point que saint Hilaire put, à juste titre, se répandre en saints gémissements sur la misère de son temps.
Dieu Immortel ! Quel remède radical et divin, s’imposait pour guérir un tel mal ?
Il eut fallu que l’Église, qui, inspirée et conduite par l’Esprit, nous est le garant de l’authenticité des Écritures, il eut fallu que l’Église ne laissât, de même, subsister aucun doute sur l’interprétation des dites Écritures.
Mais, je ne sais quelles puissances infernales lancées à l’assaut par Satan, vinrent obscurcir le ciel, jusque-là sans nuages, de l’Église. Laissant tomber sur ses enseignements un voile trompeur, elles provoquèrent une déplorable division, source de tous les maux. Abandonnant la voie droite suivie jusqu’alors, animées d’un souffle impie, résonnant comme la trompette de l’antéchrist, elles suscitèrent d’épouvantables schismes, qui désolèrent le monde entier.
Les Maîtres de cette époque, ayant perdu la tradition, semblables à un membre gangrené, arraché de son tronc, ne répandirent plus qu’une doctrine malsaine et corrompue. On livra aux femmes, aux enfants, aux ignorants, les textes les plus cachés des livres saints, sur lesquels aucun regard indiscret n’était encore tombé.
Par suite d’une façon nouvelle non seulement de lire, mais d’interpréter l’Écriture, on en vint à ce point qu’on vit chaque jour, le premier ignorant venu émettre d’effrayantes hérésies.
Saint Jérôme a tracé, en gémissant, un tableau magistral de cette corruption des textes sacrés :
« Il n’y a qu’une science des écritures, s’écrie chacun, et c’est moi qui la possède. Telle vieille femme bavarde, tel vieillard au cerveau affaibli, tel verbeux rhéteur, tous en un mot revendiquent pour eux seuls la vérité, dénaturant les textes, les enseignant avant d’avoir appris à les connaître. D’autres, grandiloquents et majestueux, dissertent au milieu des femmes, sur les livres saints. D’autres enfin, ô honte ! apprennent des femmes ce qu’ils enseignent aux hommes ! Et, comme si ce n’était assez, quelques autres, doués d’une certaine faconde, d’une audace plus grande encore, prétendent apprendre à autrui ce qu’ils ignorent eux-mêmes ! »
La plupart des Pères, d’un esprit intègre, s’attachant à ramener ainsi le sens des Écritures à la tradition des apôtres, les hérétiques décrétèrent qu’on devait se séparer d’eux. Et, comble de l’impudence, ils accusèrent leurs disciples de falsifier, de corrompre les textes, déclarant que, pour remédier à un aussi grand mal, il convenait de remonter à l’origine même de l’écriture hébraïque et de s’éloigner absolument, selon leur expression, de ces ruisseaux, si troubles, de l’interprétation et de la tradition.
Cela, nous le reconnaissons avec saint Jérôme, à qui ces inventeurs de fables osent faire la leçon, de qui l’Église catholique a reçu la plus grande partie de la traduction des textes sacrés. Mais eux, les critiques de saint Jérôme, on doit les écarter, endurcis qu’ils sont dans leur erreur, comme Pharaon.
Et s’il m’était permis, dans un débat de cette importance, d’exposer librement mon avis, je montrerais, plus clair que le jour en plein midi, en m’appuyant sur le témoignage même des Rabbins, que la version de saint Jérôme est conforme au texte hébraïque original.
En effet, les récits bibliques issus de cette source originelle, se retrouvent presque identiques, et dans les commentaires rabbiniques, et dans les écrits de ce grand docteur.
Les gens d’esprit sensé, qui attaquent le véritable sens des Écritures (si tant est qu’ils conservent un grain de bon sens, au sein même de la déraison) apprécieront s’il convient de rejeter complètement les sources rabbiniques.
Pour moi, s’il m’était permis de le dire, je ne croirais pas trop m’avancer en affirmant que tous les hérétiques, quel qu’en soit le nombre, peuvent, grâce à la Cabale (fondée sur la tradition des Hébreux) arriver à la connaissance de la Vérité éternelle ; de cette Vérité qu’ils ne peuvent contempler, ainsi que les oiseaux de nuit, habitués aux ténèbres, ne peuvent supporter l’éclat du soleil.
La Cabale, en effet, dans l’acception la plus large du mot, n’est pas autre chose que l’explication mystique des Écritures, explication qui fut transmise avant et après la venue du Christ, notre Sauveur. Et il me serait facile de démontrer que, grâce à elle, certains points encore controversés à l’heure actuelle, peuvent être facilement précisés.
Mais, il me semble voir certains des contempteurs actuels de la Haute-Science, qui croient avoir acquis des connaissances suffisantes (ou tout au moins s’y être appliqués) pour lui déclarer une guerre perpétuelle, il me semble, dis-je, les voir, ces imposteurs, ou entendre leurs divagations, les arguments à l’aide desquels ils réfutent, rejettent et essaient de détruire, comme entachés d’un levain de superstition condamnable, et la tradition des Rabbins et les enseignements de la Cabale.
C’est pourquoi j’ai cru utile, en traçant le plan de cet ouvrage, d’exposer d’abord les bases sur lesquelles s’appuient la science des Rabbins et celle des Cabalistes — que ses adversaires qualifient de diabolique ; après quoi, je réfuterai les arguments de leurs détracteurs.
Il faut donc savoir, d’après le témoignage de saint Paul, d’Origène et de saint Hilaire, dont nous examinerons les preuves ci-après, qu’en dehors de la doctrine écrite, il en existait une doctrine spirituelle, non consignée par l’écriture, que les Hébreux nommaient « loi orale » תורה בעל פה, qui se transmettait de bouche à oreille, et qui avait été donnée à Moïse sur le mont Sinaï.
Ce divin législateur en révéla, avec le plus grand soin, les secrets enseignements à soixante-dix vieillards d’Israël, qui les consignèrent, plus tard, en soixante-dix livres.
Cette loi traitait de presque tous les mystères, qui, en raison de leur profondeur, ne pouvaient être livrés à un peuple ignorant et grossier, mais étaient réservés à un petit nombre de sages, capables de les comprendre, de les conserver et de les vénérer comme ils méritaient de l’être.
Nous allons rechercher, toutefois, sur quoi repose cette opinion.
D’abord, saint Paul, dans son Épître aux Romains, semble bien partager cet avis, lorsqu’il écrit : « Qu’ont donc les juifs de plus que les autres peuples, à quelque point de vue que ce soit, quelle est l’utilité de la circoncision ? Ils sont privilégiés en beaucoup de choses, notamment une, que la parole de Dieu leur a été confiée. » Commentant ce passage de l’Apôtre, le très judicieux Origène s’exprime ainsi :
« Remarquons, dit-il, que saint Paul ne dit pas que ce sont les Écritures qui ont été confiées aux Juifs, mais la Parole de Dieu. »
D’où il résulte de la façon la plus évidente, — comme le fait observer le célèbre Pic de la Mirandole, lequel est, sans contredit, le premier des philosophes, — qu’en dehors de la loi écrite, il en existait une autre, confiée aux Juifs, et que saint Paul appelle la Parole de Dieu.
Le témoignage d’Origène est, évidemment, d’une incontestable valeur ; et l’on peut dire que, s’il en est d’aussi sérieux, il n’en est pas de plus probant.
D’ailleurs, l’Église apostolique, romaine, au jugement et à la critique de laquelle je soumets volontiers tout ce que je vais dire, n’a point condamné ce Père sur ce point.
Nous voulons, en outre, produire ici, aux yeux de tous, deux témoignages irréfutables contre nos adversaires. Bien qu’ils soient extraits d’ouvrages que l’Église tient pour apocryphes, nous les donnons quand même ; en effet, le saint concile de Trente a estimé que ces ouvrages ne devaient pas être rejetés en entier.
Quelques pères de l’Église : saint Jérôme, saint Cyprien, saint Ambroise et quelques autres, les citent parfois ; enfin, certaines versions latines de la Bible, tant manuscrites qu’imprimées, en font mention.
Le premier de ces témoignages est emprunté au 4e livre d’Esdras, chap. XIV, verset 3, où l’on peut lire : « Je me suis montré dans le buisson ardent me faisant connaître, et j’ai parlé à Moïse, alors que mon peuple était esclave en Égypte ; je l’ai envoyé vers lui et j’ai fait sortir mon peuple d’Égypte. Je l’ai conduit, ensuite, sur le mont Sinaï, je l’y ai gardé de nombreux jours et je lui ai dévoilé de nombreuses merveilles ; je lui ai découvert les secrets des temps futurs et leur fin ; je lui ai donné cet ordre, disant : Tu pourras divulguer telles paroles, mais tu tiendras telles autres secrètes. » Et, ailleurs, versets 45 et suivants : « Et il arriva qu’au bout de quarante jours, le Très-Haut fit entendre sa voix, disant : Divulgue les premiers livres que tu as écrits et que tous, qu’ils en soient dignes ou non, puissent les lire ; quant aux dix derniers, réserve-les soigneusement et confies-en le dépôt aux sages de ton peuple. Car, elles contiennent l’eau de l’Esprit, la source même de la sagesse, le fleuve de la connaissance. Et je fis, selon la parole de Dieu. »
Voilà bien des preuves qu’aucun homme sensé ne doit rejeter, d’autant que l’Église, qui reçoit l’inspiration divine, ne les a pas complètement improuvées.
Si certains critiques, cédant à un incroyable besoin d’ergoter, continuent à attaquer ces preuves et nous invitent à produire les témoignages des Pères de l’Église, j’apporterai, tout d’abord, le suivant qui est de saint Hilaire :
« Moïse, dit-il (supra. Psalm., 2), avait, antérieurement, déjà établi dans chaque synagogue un conseil de soixante-dix docteurs, car, le dit Moïse, bien qu’il ait consigné par écrit les enseignements de l’Ancien Testament avait, toutefois, réservé quelques-uns des passages les plus secrets de la Loi. Il en confia le dépôt à soixante-dix vieillards, qui devinrent par la suite les docteurs de la Loi Notre-Seigneur fait allusion, dans l’Évangile, à ce corps d’enseignement, lorsqu’il dit : Les scribes et les pharisiens occupent aujourd’hui la chaire de Moïse ; observez et accomplissez tout ce qu’ils vous enseignent ; mais, gardez-vous bien de faire ce qu’ils font. Or, leur enseignement s’est perpétué ; il vient de Moïse lui-même ; le nombre et la fonction de ces anciens se sont conservés ; ils sont restés dépositaires de la loi. »
Ainsi s’exprime littéralement saint Hilaire. On en peut conclure qu’il n’est pas possible de trouver un argument plus explicite, plus clair, confirmant l’existence d’un double enseignement de la loi.
Que des ergoteurs impénitents ne viennent pas prétendre que, dans certaines éditions de saint Hilaire, on trouve en marge ces mots : « Je n’en crois rien. » Quel que puisse avoir été l’auteur de cette annotation, qu’Érasme ou tout autre ait, de son propre mouvement fait ces additions, qu’importe ? Le texte original ne contient absolument rien de semblable.
J’en dirai autant de sa prétention de corriger le texte et de lire : perfecte, au lieu de prophetae.
Mais, abandonnons à la sagacité des érudits le soin de fixer ce point, et voyons ce que les sages ont dit de la Cabale ou Loi orale.
Eusèbe, dans son Histoire de l’Église, livre VI, chap. 2, reconnaît que cette loi orale fut donnée à Moïse sur le mont Sinaï. La même opinion est très savamment soutenue par saint Grégoire de Nazianze, De l’état de l’episcopat et Théologie, I ; Joseph, Antiq. Jud., livre IV, ch. 7 ; P. Galatinus. De Arcanis catholicae veritatis, I, 199. Reuchlin, De Cabala, livre I. — Oleast., ch. II, Medina, De recta fide in Deum, livre VII, ch. 14 ; Lud. Coelius Rhodigum, Antiq. lect., l’évêque Aug. Justin Nebiensis, Scholies sur les psaumes. Paul Burgensis, évêque de Midendorf. De Academicis. — P. Phagius. — Genèse, ch. XVI et Nombres : ch. i ; Anthon. Margarita, De ceremonis Judaeorum. — C. Postellus, De orig. et Antiq. ling. heb. ; Anton. de Guevarra (d’Espagne) Livre II, des lettres. Gorop. Becan, De lit. hiero- gl., livre VII. Porcherus. — Victoria contra Judaeos. Michael Neander, De Cabala Judaeorum. Bibliander, Comment. omnium linguarum, I. Cheradamus, Alphabet linguae sanctae. Paulus Israelita, De Cabala Judaeorum. Conrad Gesnerus. Mithridate. Bibliander, De opt. genere gram. Hebraïcae. Sextus (de Sienne), livre II, de sa Bibliothèque dont voici les expressions :
La Cabale est l’interprétation secrète de la Loi Divine, reçue par Moïse de la bouche même de Dieu, transmise par lui aux sages d’Israël et venue de ceux-ci, par une tradition non interrompue, verbale et non écrite, jusqu’à nos jours.
Elle a beaucoup de rapports avec ce que nous appelons l’interprétation anagogique, mais elle est plus élevée, car elle nous hausse des choses de la terre à celles du Ciel, du sensible à l’intelligible, du Temps à l’Éternité, du corps à l’Esprit, de l’homme à Dieu, etc.
Genebrardus, confirmant à son tour l’existence de cette divine cabale, ou tradition orale, s’exprime ainsi, fol. 21 et 22 :
« Il n’est pas admissible qu’Adam ait caché à ses fils et à leur descendance les enseignements nécessaires à leur salut. Partout, cela eut été jugé indigne d’un père, dans cette occurrence surtout où il s’agissait de dieu, de sa parole, de son esprit, qu’il lui avait été donné de percevoir. Il les avait instruits, au contraire, de la création de l’Univers (Gen., 2) dans lequel il avait occupé la place la plus noble, à ce point que, sur l’ordre de Dieu, c’est lui qui avait assigné à chaque chose un nom en rapport avec sa nature propre.
Il leur avait parlé de l’âme universelle de vie, de laquelle il avait été conçu et formé à l’image, à la similitude de Dieu, dont il était la véritable expression (Gen. i), de la grandeur de l’homme, de sa suprématie sur toute la Création, qu’il avait reçue comme apanage (ibid.) ; de l’état d’innocence dont il était tombé, de sa chute, de son péché, source de tous les maux qui l’avait exilé d’un jardin de délices, image de la vie immortelle future ; des anges, dont quelques-uns armés d’un glaive, flamboyant et tournoyant, défendent l’entrée de ce paradis terrestre ; des démons, ennemis du genre humain, de leurs embûches, et, notamment, de l’un d’entre eux, qui, sous la forme d’un serpent, les avait trompés lui et son épouse ; du Fils de la femme, c’est-à-dire le Christ, qui lui avait été promis pour le racheter de sa faute et de sa condition misérable (Gen. 3) ; de la sainteté du mariage et des lois qui le régissent, qu’il avait prédites lui-même (Gen. 2) ; des sacrifices et du culte à rendre à Dieu ; des commandements de Dieu et de sa volonté ; de la mort, de la pénitence, de toutes les peines générées par le péché, dont il avait fait lui-même l’expérience ou qui lui avaient été révélées par Dieu ainsi que par les propres déductions de son esprit ; de sa nature supérieure et parfaite ; enfin, il leur avait révélé tous les enseignements secrets, nécessaires à notre salut que Dieu ne lui avait pas ménagés : non seulement comme à un prophète, mais de plus comme à un être qu’il avait tiré de son essence même ».
De même (Chron. Hebr. fol. 6, Histoire de la Cabale), le sage rabbin, Abraham Lévi, la gloire des maîtres, s’exprime ainsi sur Josué, fils de Nun :
« Que la paix soit avec lui. Il reçut de lui (c’est-à-dire de Moïse) l’une et l’autre loi : la loi écrite et la tradition orale. Or, il est établi que Moïse, le premier de nos législateurs soutenait des controverses avec des Hébreux, du matin au soir. Et l’on ne peut prétendre qu’il faut comprendre seulement par ces mots l’enseignement de la loi écrite. Cela est inadmissible ; la loi écrite, en effet, ne traite d’aucun des mille cas de chicane, qui surgissent chaque jour. Il institua donc, par la suite, pour connaître de ceux-ci, des tribuns, des centurions, des cinquanteniers, des décurions ; et il leur fit cette prescription : Jugez les affaires de vos frères selon la justice et l’équité. Mais, c’est de son propre fonds qu’il vous traça, en ce temps-là, ce que vous deviez faire. Et cet enseignement qu’il vous donna, n’est pas autre chose que la loi orale. Il est traité en outre, des sacrifices et de leur rituel : Tu feras les sacrifices et tu t’alimenteras comme je te l’ai indiqué.
Moïse indique ainsi clairement qu’on lui a imposé, relativement aux sacrifices, des règles qui ne se trouvent pas dans la Loi. Or, il est impossible qu’il ne les ait pas transmises à son successeur Josué.
Josué, de son côté, les transmit aux anciens d’Israël, et mourut l’an du monde 2517. Les sages, qui succédèrent à Josué, les transmirent aux prophètes ; ceux-ci, enfin, se les transmirent réciproquement de l’un à l’autre, dans la suite des siècles et des âges jusqu’à Haggie, Zacharie et Malachie.
Les prophètes les transmirent également aux membres de la grande synagogue, notamment à Zorobabel, fils de Salathiel fils de Jéchonias, et à ceux qui revinrent avec lui de la captivité de Babylone : Jésus, Néhemie, Seroïna, Raalia, Mardochée, Balsanus, Masparus, Bagoa, Bhanur, Baana, lesquels étaient en effet, les chefs de la grande synagogue »
Telle est l’opinion d’Abraham Levi.
Après ces auteurs célèbres, dont nous venons d’exposer l’avis, puisque tous les Rabbins ou Cabalistes, qui ont cherché à pénétrer les mystères sacrés de cette tradition auguste, de la Cabale ou cabalistique, affirment ainsi que nous l’avons déjà dit, qu’outre la loi écrite, il existe un autre enseignement, secret celui-là, qu’ils appellent cabale, du verbe hébreu quibble קבל, qui signifie : recevoir. Et ils définissent ainsi cette réception ou cabale : La Cabale est la transmission symbolique de la révélation divine qui nous permet, pour notre salut, de contempler Dieu et les formes séparées2.
Nous disons : révélation divine parce qu’elle fut révélée à Adam, pendant son sommeil, ainsi que les Hébreux l’ont toujours affirmé. C’est ce qui lui permit d’assigner aux animaux de la terre, aux oiseaux du ciel, un nom, le plus propre à les spécifier d’après la nature de chacun d’eux.
Cette divine révélation ne fut pas faite seulement à Adam, elle le fut aussi à Moïse, sur le mont Sinaï, ainsi qu’il est dit plus haut.
Pic de la Mirandole, dans ses Conclusions cabalistiques, la divise en science des Séphirots, et en science des Schemots ; c’est-à-dire en une partie « agissante » et en une autre « purement spéculative ».
Mais quittons les généralités et pénétrons dans le détail. Il existe, en effet, aux dires de profonds cabalistes, antérieurs à Pic de la Mirandole, une cabale du Bereschit, et une Cabale de la Merchava. La première contient deux sections ; l’une traite des forces cachées de l’Univers ; l’autre recherche les lois qui régissent notre monde sublunaire.
C’est de cette dernière, dit-on, que traita le sage Salomon. Il disserta sur toutes les créatures du règne végétal, depuis le cèdre qui domine le Liban jusqu’à l’hysope de la muraille.
La Cabale de la Merchava, n’est pas autre chose que la théologie symbolique ou mystique, la science contemplative des choses sublimes et divines.
Elle se divise également en deux sections : l’une, dite du Béreschit, étudie les arcanes les plus profonds des nombres ; l’autre, dite des Schemots, traite des mystères des noms divers et de ceux des créatures.
C’est ce qui explique comment on retrouve, dans les écrits des cabalistes hébreux, tout ce que les anciens ont exposé relativement à la magie. Je ne parle pas ici de la magie noire et diabolique, sur laquelle il convient de jeter un épais voile d’ombre, mais, de la magie permise, de celle au moyen de laquelle les anciens sages de l’Orient, les Perses notamment, qui pénétrèrent très avant dans les mystères de la Divinité et de la Nature, purent accomplir des merveilles, au témoignage de saint Augustin, en se servant de moyens purement humains, en appliquant les puissances actives aux éléments passifs.
La magie comprenait, en effet, d’après Pline, trois sections, qu’on retrouve également dans la Cabale : la théologie, la médecine hermétique et l’astrologie.
La théologie servait à purifier l’homme, à le rendre apte à recevoir les enseignements occultes, en faisant de lui un ami de Dieu, le mettant en état d’étudier saintement les choses saintes.
La médecine hermétique traitait de la vertu des herbes, des pierres et des métaux ; de la sympathie et de l’antipathie qui existaient entre chacune ou chacun d’eux.
L’astrologie, enfin, avait pour but de rechercher, au moment où l’on entamait une entreprise quelconque, les conditions de temps, favorables ou défavorables ; les mouvements des corps célestes et leurs influences diverses sur les choses terrestres.
Il n’est pas douteux, d’après l’expérience quotidienne, que les forces célestes d’en haut ont une action sur les êtres terrestres d’en bas.
On peut conclure nettement, de ce qui précède, que la Cabale contient une partie théorique et une partie pratique. Certains de ses enseignements sont, en effet, purement pratiques, tandis que les autres sont entièrement mystiques. Ces derniers traitent de Dieu, des anges, des idées et de tout ce qui s’y rattache.
Cette section ne se contente pas d’étudier minutieusement les actes, émanant de Dieu lui-même et des esprits célestes ; elle fait servir également aux besoins du genre humain les connaissances ainsi acquises. Cette science est incontestablement la sagesse divine elle-même ! C’est par amour pour elle, poussés par le désir d’acquérir d’aussi nobles connaissances que la plupart des véritables théosophes de l’antiquité : Empédocle, Démocrite, Platon, Pythagore et tant d’autres, entreprirent de longs voyages pour aller s’abreuver à ces fleuves de sagesse, boire à leur source même.
Ainsi, l’illustre philosophe Apollonius de Tyane passa une longue suite d’années à sa recherche, la poursuivant sans relâche au milieu de la méchanceté, de l’ignorance des hommes, en dépit des malheurs du temps, de la misère causée par les guerres, alors qu’elle semblait s’être retirée de la terre tout entière !
Sans perdre courage, au témoignage de saint Jérôme, il parcourut la Perse, traversa le Caucase, visita les Albanais, les Scythes, les Massagètes et pénétra jusqu’au cœur des puissants Empires de l’Inde. Enfin, ayant franchi l’immense fleuve Phison, il parvint chez les Brahmanes. Là, il entendit Jarchas, assis sur un trône d’or, au milieu d’un petit nombre de disciples, puisant à la source même de Tantale, donner son enseignement sur la nature, sur les mouvements des étoiles et sur le cours des jours.
De là, à travers l’Elamitie, la Babylonie, la Chaldée, la Médie, l’Assyrie, le royaume des Parthes, la Syrie, la Phénicie, l’Arabie et la Palestine, il regagna Alexandrie. Poursuivant ensuite sa route, il se rendit en Éthiopie, pour y voir les gymnosophistes et la fameuse table du soleil qui se trouve dans le désert.
Laissons donc l’opinion de ces ignorants détracteurs de toutes choses, qui pour rendre odieux, méprisable aux yeux de la postérité ce mot de Cabale (lequel, représenté d’une part comme synthétisant une science démoniaque, accaparé de l’autre, et exploité par d’adroits charlatans, est presque tombé dans l’abomination), ont eu l’incroyable, la criminelle audace d’affirmer que la Cabale rendait l’homme diabolique, infernal, semblable à l’antéchrist !
Par malheur, elle a permis à des critiques, dont la sincérité ne peut être mise en doute, de conclure que les cabalistes recevaient leur inspiration de pernicieux démons ; qu’ils étaient sans conteste d’impudents sycophantes, qu’on devrait punir en toute équité.
Et, pourtant je me demande, en vérité, ce qu’on peut trouver de mauvais dans la Cabale !
Aussi, invité-je ces monstres, ces hommes abominables à écouter ce qu’a dit, de l’une et l’autre cabale, le célèbre comte de la Concorde (Pic de la Mirandole). Peut-être cesseront-ils, ensuite, de vomir leurs injures calomnieuses. « Il n’est pas, dit-il, de sciences plus propres à nous convaincre de la divinité du Christ que la magie et la cabale ».
Mais, répliquent nos adversaires, la cabale fait usage de pentacles !
Eh bien ! quelle conclusion en tirez-vous ? Peut-on condamner des signes, qui sont la représentation des choses divines ?
Le Christ n’a-t-il pas enseigné que l’on devait tout faire en son nom ? Or ce nom, d’après Archangelus de Burgonovo lui-même, ne peut être exprimé qu’au moyen de lettres, proférées ou écrites ! Ces dernières sont justement, les signes dont il est question.
Saint Paul, dont la poitrine vibrait de la parole du Christ, dit également : Quoi que vous fassiez, soit en parole, soit en acte, faites-le au nom de Jésus !
La croix est aussi un signe dont nous avons l’habitude de nous servir ; et ce signe est d’un usage fréquent.
Dans l’ancienne loi, il était également prescrit au prêtre de se couvrir le front du grand nom de Dieu avec ses caractères, ainsi écrit יהוה, lorsqu’il entrait dans le saint des saints (Exode).
On ne doit donc pas rejeter tous les caractères ! Il en est de saints, desquels il est dit : ce sont des instruments utiles pour l’œuvre divine, de même qu’il est des instruments naturels, utiles pour les opérations faites dans la nature.
Les adversaires des cabalistes n’en continuent pas moins leurs diatribes et demandent : D’où proviennent donc, si ce n’est du Démon, tant de choses extraordinaires accomplies par l’art de la Cabale ?
Profonds mystères de la Cabale divine.
Notes
[1] Cantique des Cantiques.
Bonjour,
Je vous signale mon livre paru chez Beya Éditions en 2013 : Défenseurs du Paracelsisme DORN DUCLO DUVAL. Il peut apporter beaucoup d’eau à ce moulin.
Bien cordialement.