Note sur la Shekhina par Jean de Pauly.
Au Folio 117b, ad finem, page 453 du Zohar II.
Pour les non-initiés, ce passage constitue une véritable énigme. Qu’est-ce que cette diversité des parties de la Shekhina ? Qu’est-ce que la partie de la Shekhina du côté de l’ « Arbre du Bien et du Mal » qui en constitue, d’après le texte, le siège, ou le trône, et cette autre partie du côté de l’ « Arbre de Vie » où le mal n’a aucun accès ? Cette phrase est pourtant tout à fait conforme à la théorie du Zohar, théorie que nous avons toujours hésité à exposer, tant elle est crue et choquante; sans être de l’anthropomorphisme, – bien loin de là, – cette théorie est si étrange qu’elle répugne à notre raison et nous paraît une fable mythologique. Tant que cela nous était possible, nous nous sommes abstenus d’en parler. Mais cette fois-ci, pour ne pas laisser tout un passage de notre traduction absolument incompréhensible au lecteur, nous nous voyons forcés, sinon d’exposer avec tous les détails la théorie du Zohar, – ce qui demanderait un livre presque aussi volumineux que le Zohar lui-même, – du moins de l’effleurer.
Qu’est-ce que la Shekhina ? « Il y a, dit le Z. (I, fol. 16B et 17a), dans l’essence de Dieu, deux lumières, l’une active appelée jour, l’autre passive appelée nuit ». Pourquoi ces deux lumières et que signifie lumière active et passive ? Le Tiqouné Zohar, XIX, répond : « Quand on songe que le Saint, béni soit-Il, est infini et qu’il remplit tout, on comprend aisément que toute idée de création eût été impossible sans le « zimzoum » (צימצום retrait). Comment, en effet, introduire de l’eau dans une coupe déjà pleine jusqu’aux bords ? Le Saint, béni soit-Il, a donc réservé la sainte lumière qui constitue son essence; non pas qu’il se soit rapetissé, – que Dieu nous préserve d’une telle opinion, – Dieu étant tout, il ne peut ni grandir ni diminuer. Seulement, comme la lumière de Dieu est d’une telle pureté et d’un tel éclat qu’elle éclipse tout, même les anges supérieurs, même les Hayyoth, même les Séraphim et les Cherubim, le Saint, béni soit-Il, pour rendre l’existence des mondes célestes et des mondes matériels possibles, a retiré sa lumière puissante d’une partie de soi-même, pareil à un homme qui fait une ligature à un de ses membres pour empêcher le contact du sang d’au-dessous de la ligature avec celui du dessus. C’est ainsi qu’on doit expliquer la tradition concernant les quatre mondes : de l’émanation (אצילות), de la création (בריאה), de la formation (יצירה) et de l’action (עציה). Les deux premiers degrés, ou mondes, sont remplis de la lumière sainte de Dieu; tout y est Dieu, et Dieu y est tout. Les deux derniers degrés, ou mondes, constituent cette partie de l’essence de Dieu où la lumière a été affaiblie, pour permettre aux âmes, aux anges et aux mondes matériels de subsister. C’est cette partie de Dieu que nos saints Maîtres désignent sous le nom de Shekhina. Voilà pourquoi au commencement de la Genèse il n’est question que d’Élohim, qui désigne la Shekhina, parce que tout ce qui a été créé, à commencer par les Hayyoth et les Seraphim jusqu’au plus petit ver de terre, vit en Élohim et par Élohim. C’est également pour cette raison que nos saints Maîtres nous ont appris que la Shekhina est descendue déjà dix fois sur la terre, mais non pas le Saint, béni soit-Il, parce que la création est l’œuvre de la Shekhina et elle s’en occupe comme une mère de ses enfants ».
Voici maintenant un passage du Zohar, Cant. III, 1 : « J’ai cherché dans mon lit durant des nuits celui qu’aime mon âme; je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé. » Qui cherche et qui est cherché ? Rabbi Abba dit : Le Soleil cherche la lune, c’est-à-dire: le Saint, béni soit-Il, cherche la Shekhina d’au-dessous du trône et ne la trouve pas, parce que les péchés des hommes l’en séparent. »
Le commentaire אור כתנות֣, explique ainsi ce passage du Zohar : « Les mondes de l’émanation et de la création sont au-dessous du trône; là il n’y a point de distinction entre le Saint, béni soit-Il, et la Shekhina, là tout est un. Ce n’est qu’au-dessous du trône, c’est-à-dire dans les mondes de la formation et de l’action, que la distinction commence. Or, comme chaque péché de l’homme crée un démon, il en résulte que ces démons s’interposent entre le Saint, béni soit-Il, et la Shekhina et les séparent au-dessous du trône. Comme le démon est plus puissant et plus fréquent dans le monde de l’action, c’est-à-dire dans ce bas monde, que dans celui de la formation qui est au-dessus de lui, il s’ensuit que la séparation augmente graduellement de haut en bas, semblable à un compas dont les deux branches sont écartées. » Et comme si le texte n’était pas assez clair et l’idée émise pas assez compréhensible, l’éditeur, ou peut-être l’auteur même, a cru devoir ajouter la figure que nous reproduisons d’après l’édition d’Amsterdam, 1794 :
Ainsi qu’on le voit par cette figure, la Shekhina qui, primitivement, a rempli les deux mondes au-dessous du trône, se voit de plus en plus repoussée par l’invasion des « insectes parasites » qui lui disputent la place ; ou, pour parler le langage du Z., « la servante se met à la place de la Matrona et éloigne celle-ci de la main droite du Saint, béni soit-Il » (Z., III, fol. 276b). « Mais pourquoi Dieu permit-il que la Shekhina soit ainsi repoussée par les démons, demande encore le Zohar, Cant. VI 4 ? Ne peut-il donc exterminer le démon en un clin d’œil ? » Et le Zohar répond : « La volonté de la Pensée suprême était que l’homme, après s’être attiré la mort pour avoir goûté de l’Arbre de Bien et de Mal, conservât son libre arbitre, afin d’élever petit à petit les mondes qui sont au-dessous du Trône à la hauteur de ceux qui sont au-dessus. Or, ce libre arbitre eût été impossible sans le démon qui excite au mal. Voilà pourquoi la Shekhina préfère souffrir de l’invasion des démons, qui la blessent autant que la piqûre d’une aiguille, plutôt que d’entraver la félicité éternelle des hommes. » Faisons enfin remarquer que l’« Arbre de Vie » désigne les mondes au-dessus du trône où la Shekhina est unie à יהוה et où le démon n’a point accès, tandis que l’« Arbre du Bien et du Mal » désigne les mondes qui constituent le trône et où le démon peut accéder (V. זהרה״, fol. 126A et 139a). C’est en suivant le même système que le Zohar explique pourquoi chaque péché (en général et la concupiscence en particulier) est appelé dans l’Écriture (Lévitique XVIII, 7) : « Découvrir les parties honteuses de la Mère (Shekhina). » (V. Zohar, I, fol. 27b). Enfin, on explique de même pourquoi Dieu créa l’homme mâle et femelle, et ne le sépara qu’après lui avoir défendu de goûter l’« Arbre du Bien et du Mal ». Mais le développement de tous ces sujets nous entraînerait trop loin et excéderait de beaucoup l’espace réservé à une simple note. Ce qui précède suffit à l’intelligence de notre texte.