La Lettre d’Emmanuel Levyne au Rabbin Schwartz paru dans Lettre d’un kabbaliste à un rabbin (Loi & Création) – éditions Tsédek, 17 rue Bleue (75009) Paris.
Issy-les-Moulineaux le 24 08 1962.
Monsieur le Rabbin Jean Schwarz, directeur de la revue – Trait-d’Union –
Cher Monsieur le Rabbin,
Je lis et j’étudie toujours avec beaucoup d’intérêt vos numéros spéciaux. Dans celui consacré au Hassidisme, la plupart de vos collaborateurs ont minimisé les divergences entre la conception hassidique et la conception purement rabbinique. Par exemple, pour le rabbin Gugenheim, ce qui aurait séparé les Hassidim des Mitnaguedim, ce n’était qu’une différence d’horaire de la prière. Dans ce cas, on ne comprend pas la rigueur dont a fait preuve le Gaon de Vilna, qui avait proclamé que le sang des Hassidim pouvait être versé comme de l’eau.
En général – excepté évidemment M. André Neher dont les textes sont parfaits à tous égards – vos collaborateurs ne semblent pas avoir une connaissance très profonde de la mystique juive et surtout son expérience –, car chaque fois qu’ils abordent son domaine, ils s’y perdent – et leur hébreu avec eux.
Ainsi, je m’étonne de lire dans les textes de vos collaborateurs que le mot Tora signifie Loi, que le Judaïsme est essentiellement et totalement une Loi. C’est là le point de vue d’un certain rabbinisme. Mais on ne peut émettre une telle opinion du point de vue de la Kabbale.
Comment un hébraïsant peut-il traduire le mot « Tora » par Loi ?
Tous les dictionnaires indiquent que le mot Tora vient d’une racine (Y-R-H) qui signifie enseigner. La Tora, c’est l’enseignement divin.
On peut également faire venir ce mot de la racine A-O-R, Lumière ; et cette étymologie a ses références dans la littérature kabbalistique (et aussi talmudique et biblique).
Prov. VI,23 : ki ner mitsva vetorah or : La Tora, c’est la Lumière.
Meguilla 16 b : ora zou tora : La Lumière, c’est la Tora.
Tikouné Hazohar, Tikoun XI, 26 b : Il y a un Palais de la Lumière (hehela dinehora) qui ne s’ouvre que pour l’homme qui s’occupe de la Lumière de la Tora (nehora deoraïta).
La Tora, c’est la doctrine de la Lumière, c’est-à-dire, selon les nombres de la racine A-O-R-, la science des rapports justes entre l’Infini (1) – et (6) -le fini (2(00)), entre Dieu et l’homme, entre Dieu et le monde.
La Tora est essentiellement la Loi, et c’est en tant que Loi que le Judaïsme se distingue des autres religions, son originalité est dans sa Loi. Ainsi s’expriment vos collaborateurs.
Du point de vue de la Kabbala, ce n’est pas exact. La catégorie essentielle de la Tora et de l’Hébraïsme n’est pas la Loi, mais la Création. Les trois premières lettres de la Tora sont B-R-A, racine de la CRÉATION : le premier verbe de la Tora est également B-R-A : créer. Le mot et le verbe originel de la Tora, c’est la Création. La Tora commence là où il y a Création.
Le but de la Tora n’est pas de faire de l’homme un être soumis, mais un être qui soit à la ressemblance de Dieu, c’est-à-dire un être créateur et libre.
Bien que la Création et la Loi s’excluent, il faut reconnaître que dans la Tora il y a une Loi – la Loi de Moïse. Mais cette Loi est une partie de la Tora – et non toute la Tora ; et c’est là que réside essentiellement la [Fin page 18 ] divergence entre le point de vue de la Kabbala et le point de vue du Rabbinisme.
Pour la Kabbala, la Loi ne représente qu’un temps de l’histoire de la Tora, elle n’est qu’un des avatars de la Parole de Dieu dans le monde.
Son règne est transitoire. Elle s’est manifestée et imposée à la suite du péché du veau d’or (l) et elle disparaîtra à la venue du Messie (2). Pour tout Israël. Mais même dans les temps prémessianiques, le Kabbaliste – c’est-à-dire l’homme qui est plongé jour et nuit dans l’étude du Zohar – échappe à la servitude de la Loi. Car la Loi a pour but de protéger l’homme du mauvais penchant et de l’aider à le vaincre. Or l’étude de la Kabbale a la propriété d’extirper ontologiquement le mal. La Loi n’a donc plus de raison d’être pour l’homme qui vit entièrement dans l’univers kabbalistique (3).
D’une manière plus systématique, la Kabbala divise Israël en deux grandes classes (4) :
I – Les Kabbalistes (ou les Justes), qui sont attachés à la Tora de l’Arbre de Vie – la Tora de Atsilouth –, qui était celle des Patriarches et que Moïse reçut (kabbala) au mont Sinaï : cette Tora spirituelle formait le contenu exclusif des premières Tables, qu’il brisa à la vue du peuple adorant le veau d’or. Seuls les Kabbalistes portent le nom d’Homme ; ils sont les fils du Roi ; ils vivent dans le monde sephirotique.
II – Le reste du peuple – la masse et ses dirigeants –, qui sont soumis à la Tora de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal – la Tora de Beria – c’est-à-dire à la Loi.
Cette dernière classe se subdivise en deux catégories, comme l’arbre qui la gouverne.
A. Les Bons : les rabbins et les hommes pieux qui s’efforcent d’observer les commandements ; ils sont les serviteurs du Roi ; ils vivent dans le monde angélique.
B. Les Mauvais : les impies et les libertins ; ils sont comparables à des bêtes, ils vivent dans le monde démoniaque.
Bref, la Loi régit le monde angélique et animal, c’est-à-dire les créatures statiques ; l’homme qui observe la Loi est semblable à un ange, l’homme qui ne la respecte pas à une bête.
La destinée propre de l’homme, c’est de vivre dans l’univers divin, c’est-à-dire de participer à la vie du Créateur. Le monde de l’Homme, c’est le monde de Dieu, qui se trouve au-dessus du monde des anges (5).
La Loi == hiérarchie angélo-animale, nature statique.
Kabbale == hiérarchie humano-divine, nature créatrice.
La Loi est la partie extérieure de la Tora, elle est ce qu’est la paille au grain, l’écorce au germe (6). Elle n’est pas la nourriture propre de l’Homme, fils de Dieu, mais de l’Homme déchu, de l’Homme qui a perdu son âme divine, sa nechama ; elle lui permet de ne pas succomber et de ne pas tomber au fond de l’abîme. L’homme qui fait une chute se casse des membres et se blesse : il a besoin de béquilles et de pansements. Tel est le rôle de la Loi et de ses commandements : Mais l’homme qui se porte bien n’a que faire des béquilles, des remèdes et des médecins. Tel est le Kabbaliste, tel sera Israël aux temps messianiques.
Et les rabbins sincères et intègres ont conscience de la fonction thérapeutique de la loi (7), donc de son utilité et de son existence temporaires (8). Une des preuves est qu’ils n’appellent pas la Loi rabbinique Loi, mais Halakha, qui signifie marche, mouvement. Comme le souligne le grand rabbin Fingerhut dans son article, le verbe Halakh « n’indique pas le but à atteindre, mais la marche à suivre. »
C’est bien cela : la Loi est la Halakha de la Tora, c’est-à-dire qu’elle permet à l’homme de se diriger vers son but : l’univers divin, l’univers sephirotique. Mais une fois qu’on est arrivé, la marche cesse. Il n’y a plus de Halakha (9).
L’homme qui a compris le sens du mot Halakha a saisi toute la Tora et toute la tradition juive.
La Loi véritable, c’est la Loi de Moïse, les 613 commandements dans toute leur rigueur.
La Halakha ce n’est plus la Loi de Moïse ; elle est trop miséricordieuse, trop humaine, trop dynamique, trop créatrice, trop souple, trop personnalisée, pour porter le nom de Loi. La Halakha ne soumet pas l’homme à la Loi, au contraire, elle l’en détache, et le délie doucement, insensiblement (10), car il est dangereux de rendre brusquement la liberté à un homme qui s’est habitué à la servitude, laquelle lui est devenue une seconde nature.
La fonction rabbinique n’est pas une fonction juridique, mais pédagogique et médicale. Le rabbin est un médecin. On reconnaît celui qui est honnête à ce qu’il souhaite, comme son maître Moïse, que le temps vienne où le monde n’aura plus besoin de lui et où sa science ne sera plus d’aucune utilité (11).
Je soupçonne certains de vos collaborateurs d’être des rabbins Knock.
Chalom Aleikheim.
Emmanuel Lévyne.
P.S. Attention : on ne peut trouver dans cette lettre aucune justification à la position des Juifs dits libéraux et de ceux qui vivent en dehors de la tradition juive. Le Kabbaliste, qui s’élève au-dessus du monde de la Loi, c’est le Juif qui étudie et médite jour et nuit la Tora selon le Zohar, afin d’unir le Saint, béni· soit-il, à sa sainte Chekhina ; il n’exerce aucune autre activité : il est donc pauvre et vit de charité (12). Ce type de kabbaliste n’existe pratiquement plus de nos jours – du moins en France et à Paris. La Loi rabbinique, dans son expression la plus orthodoxe, doit donc continuer à gouverner la vie des communautés juives – et cela d’autant plus rigoureusement que le niveau social des familles juives a tendance à monter en flèche. Le pauvre a moins besoin [fin page 21] de la loi que le riche, car il est moins tenté que lui par le mauvais penchant (13). (Les femmes, les spectacles, la boisson, la bonne chère … ça coûte cher. Quand on n’a pas le sou, on n’intéresse pas le Tentateur … ou la Tentatrice (Samaël et Lilith). Le pauvre n’a pas de quoi fabriquer le veau d’or.)
Je ne peux donc que souhaiter le succès de l’action des communautés orthodoxes, comme celles de la rue de Montevideo et de la rue Cadet, et je me déclare résolument hostile au Judaïsme libéral, à plus forte raison aux Juifs qui vivent sans foi ni loi et qui se croient émancipés et libérés, alors qu’ils sont tombés à un degré plus bas que celui de la bête.
La Lettre d’Emmanuel Levyne au Rabbin Schwartz paru dans Lettre d’un kabbaliste à un rabbin (Loi & Création) – éditions Tsédek, 17 rue Bleue (75009) Paris.
Références :
1 – Zohar l, 26 b.
2 – Zohar III, 124 b, R.M.
3 – Zohar II, 117 b -118 a, R.M.
4 – Zohar III, 98 a – b, R.M. ; 224 b, R.M. ; 252 b – 253 a, R.M.
5 – Roch Hachana, 17 b.
6 – Zohar Hadach, Tikounim, 73 b ; Tikouné Hazohar, Tikoun 69 b, 114 a.
7 – Eroubim, 54 a ; Berakhoth 5 a ; Midrach Rabba, Genèse, 44.
8 – Maccolth 24 a ; Sanhédrin 97 a.
9 – Menakhoth 99 b.
10 – Berakhoth 19 b.
11 – Jérémie XXXI, 31 – 34.
12 – Zohar III, 126 a, R.M. ; Zohar Hadach, Tikounim, 63 a – b.
13 – Zohar III, 8 b – 9 a.
En affirmant que le kabbaliste n’a pas besoin de la Loi, l’auteur prétentieux de cette lettre se contredit lui-même. Si le kabbaliste n’est pas tenu de se soumettre à la Loi, cela veut dire qu’il n’a pas à se soumettre au commandement suivant : »Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Or, Dieu étant amour, comment un kabbaliste peut-il prétendre s’élever vers Lui sans suivre ce commandement et les autres par la même occasion ?
« Je soupçonne certains de vos collaborateurs d’être des rabbins Knock. » Quelle démonstration de modestie et de goût pour le langague soutenu… La kabbale donne-t-elle le droit à qui l’étudie de se considérer comme omniscient et de converser avec tant d’orgueil et de suffisance ?
J’a ibien connu Emmanuel LEVYNE qui pratiquait l’Amour du prochain et savait parfaitement que là értait le plus grand commandement; Lorsqu’il est question de Loi, il s’agit de la Loi de Moïse très humainen trop humaine dirait-il.
Emmanuel LEVYNE était un saint homme, un homme de prière et un homme viant conformément à ce qu’il écrivait de ce que devait être un Homme.