La Cabale des Hébreux par le Chevalier Drach.
Dans le mot ineffable de Jéhovah sont compris les trois temps du verbe être : « il a été, il est et il sera ».
Sa signification précise est donc l’éternité, et joint à Élohim, c’est la force de l’Être éternel.
(Harmonies, p. 342.)
Nous proposons ici de faire (re) découvrir le chevalier Drach et son ouvrage : La Cabale des Hébreux vengée de la fausse imputation de panthéisme par le simple exposé de sa doctrine d’après les livres cabalistiques qui font autorité (Imprimerie de la Propagande, Rome, 1864). Vous pouvez accéder à la lecture de l’ouvrage directement à la fin de l’article, après l’extrait du chapitre II.
Biographie de Drach.
David Paul Drach, devenu Paul-Louis-Bernard Drach après son baptême, dit aussi le Chevalier Drach, est un ancien rabbin français d’origine converti au catholicisme.
Fils de Moïse et de Feyelé Weiler, il naît le 6 mars 1791 dans une bourgade proche de Strasbourg. Il fut d’abord instruit par son père, érudit en hébreu et dans l’étude du Talmud. À l’âge de douze ans, Drach entra à l’école talmudique d’Edendorf près de Strasbourg. Il obtint son diplôme et s’enregistra à Westhofen pour être admis comme professeur de Talmud.
En 1809, il fut nommé rabbin et docteur de la Loi et s’installa à Colmar, où il se consacra à l’étude des sciences. En 1811, il se rendit à Paris où il fut appelé à un poste important au sein du Consistoire central et assura simultanément les fonctions de tuteur dans une famille juive. Les résultats de sa méthode d’enseignement incitèrent même des familles chrétiennes à lui confier leurs enfants.
Il écrivit : « Électrisé par les exemples édifiants d’une tendre piété, dont j’avais ainsi le bonheur d’être témoin journellement, pendant plusieurs années, le sentiment qui m’animait autrefois à l’égard du christianisme se réveilla en moi avec une force nouvelle. » Et, en 1821, il se lança dans le projet de restituer le texte hébreu de la Torah d’après la « Septante » (première traduction de la Bible hébraïque en grec), convaincu que la traduction grecque est plus authentique que l’original en hébreu. Pendant deux années, il travaille à cette étude, consultant toujours et encore plus les textes chrétiens. Informé de cette approche peu conforme à la tradition juive, le grand rabbin Cologna lui interdit de persévérer dans cette démarche et le menace d’excommunication.
Ces études débouchèrent sur sa croyance inaliénable en la divinité et la qualité de messie de Jésus-Christ. Le Jeudi saint de 1823, il renonça au judaïsme, en présence de l’archevêque Quélen, à Paris, fut baptisé. Voir le récit qu’en fait Drach dans sa Lettre d’un rabbin converti aux israélites ses frères sur les motifs de sa conversion, Paris, 1826. Ses deux filles et son fils furent aussi baptisés.
Quelques années après, Drach se rendit à Rome, où il entra au service du Vatican en 1830 en tant que bibliothécaire de la « Congrégation pour la propagande de la foi », poste qu’il occupa jusqu’à sa mort. C’est là qu’il gagna son titre pontifical de chevalier.
Après son baptême, sans jamais renier son appartenance au peuple juif, David-Paul Drach manifesta une nette volonté de convertir les juifs au catholicisme : « Il ne peut entrer dans mon intention de flétrir une nation à laquelle j’appartiens toujours selon ma chair » (David-Paul Drach, De l’Harmonie entre l’Eglise et la Synagogue…, tome 1, p. 29).
Indigné de l’alliance que Franck cherche à établir entre le panthéisme et la cabale dans sa La Kabbale ou la philosophie religieuse des Hébreux, s’écrie dans une réfutation de ce livre : « Les incrédules cherchent à rendre la cabale complice de l’impie système du panthéisme. M. Franck, le dernier venu, traite de la cabale comme un aveugle qui raisonnerait sur les couleurs par ouï-dire. » (La Cabale des Hébreux vengée de la fausse imputation de panthéisme, par le chevalier P. L. Drach, p. 7.)
Son fils, le prêtre Paul-Augustin Drach (1817-1895), chanoine de Notre-Dame de Paris, fut un bibliste renommé.
Spartakus FreeMann, septembre 2010 e.v.
Bibliographie
* Lettres d’un rabbin converti aux Israélites, ses frères (Paris, 1825)
* Bible de Vence, avec annotations (Paris, 1827- 1833) en 27 volumes in-octavo.
* Du divorce dans la synagogue (Rome, 1840);
* De l’harmonie entre l’Église et la synagogue (Paris, 1844)
* Dictionnaire catholique hébreu-chaldaique de l’Ancien Testament (éd. Migne, Paris, 1848)
* Le Pieux Hébraïsant (Gaume, Paris, 1853)
* La Cabale des Hébreux (Rome, 1864).
* En outre, il retravailla le Dictionnaire Hébreu-Latin de Gesenius
IDÉE VRAIE DE LA CABALE.
SON USAGE DANS LA SYNAGOGUE.
Après avoir débusqué notre pseudo-cabaliste de la position qu’il a envahie, je vais exposer à mon tour ce qu’est réellement la cabale juive. Je soumets sans crainte mes preuves à l’appréciation de tout homme de bonne foi et de bonne judiciaire. On verra que d’après la doctrine fondamentale de la cabale l’univers est une création ex nihilo de la puissance infinie de Dieu.
Au fait, toute science doit avoir un but pratique. Or, quel est celui de la cabale ? Le Zohar, principal code de la cabale, partie 2e, col. 362, et après lui tous les cabalistes, répondent que son but est d’enseigner comment on doit diriger ses intentions en priant Dieu ; à quelle splendeur et à quel attribut de Dieu on doit recourir principalement dans telle ou telle nécessité ; quels anges on peut invoquer pour obtenir leur intercession dans certaines circonstances ; par quels moyens on se prémunit contre la méchanceté des esprits malfaisants, dont l’air est rempli. C’est précisément pour indiquer avec exactitude ces intentions, ces prières et ces formules que le rabbin Isaïe Hurwitz, un des plus savants cabalistes du XVIIe siècle, a composé un volumineux commentaire cabalistique des prières usuelles de la synagogue, sous le titre La porte du ciel. La conséquence en découle naturellement. La cabale enseigne un Dieu personnel à qui nous devons adresser des prières, tandis que les panthéistes se font Dieu eux-mêmes. Ils disent avec un philosophe couronné d’Egypte : Meus est fluvius meus, et ego feci memetipsum. (Ezech.XXIX, 3).
J’ai vu des rabbins qui entendant pour la première fois qu’on prétendait que la cabale contenait les principes de l’athéisme, restèrent tout ébahis. Il arrive quelquefois qu’attaqués à l’improviste par une proposition étrange, saugrenue, nous en sommes interdits. Une foule de réponses se présentent en confusion, chacune en quelque sorte tellement pressée de se produire la première, qu’on ne sait par où commencer. Ces rabbins ne pouvaient que s’exclamer : Mais ce n’est pas possible ! C’est un non-sens, une folie. Comment ! Nos pieux cabalistes de tous les siècles niant l’existence de Dieu !
Les docteurs de la synagogue moderne appréhendent de la diffusion de la science cabalistique un danger d’une nature tout opposée. Plusieurs d’entre eux disent anathème à ceux qui publient des livres de cabale. Rabbi Jéhuda Ariè, connu sous le nom de Léon de Modène, écrit dans un de ses ouvrages intitulé, Le lion rugissant : « Et je doute que Dieu pardonne jamais à ceux qui ont fait imprimer de pareils livres. » En effet, des Israélites, distingués autant par leur science que par leur position sociale, ont été amenés à embrasser la foi catholique par la seule lecture des livres de la cabale. J’en ai nommé plusieurs dans mon Harmonie, tome 2ème, pages XXXII-XXXV. Un disciple du même Rabbi Ariè, Samuel ben Nahhmias, d’une riche famille juive de Venise, reçut le baptême dans sa ville natale le 22 Novembre 1649, sous le nom de Jules Morosini. Ce Morosini est auteur d’un volumineux et savant ouvrage en italien, dont le titre est : Chemin de la Foi montré aux Hébreux, Rome, imprimerie de la Propagande 1683, 2 vol. in 4°.
La Cabale des Hébreux par le Chevalier Drach.
François Plantey est neuropsychiatre de profession et il a étudié l’hébreu à Jérusalem. Il nous présente, dans une préface dense et intéressante, David-Paul Drach (1791-1865), sa vie, son oeuvre. Ce dernier fut un ancien rabbin et un talmudiste réputé parmi les siens. Cependant, il se convertit au catholicisme romain et devint l’ami de Pie IX. Il fut fait chevalier et bibliothécaire de la Congrégation pour la propagation de la foi. Il a écrit entre autres De l’Harmonie entre l’Eglise et la synagogue pour montrer la parfaite continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Plantey tombe sur La cabale des Hébreux « dans une prestigieuse bibliothèque monastique » au cours de sa quête intellectuelle. Ce livre le marque profondément, au point qu’il décide de le porter à la connaissance du plus grand nombre : « il nous parut un devoir de mémoire que de publier au moins ce petit ouvrage, précisément pour rendre témoignage à la vérité ». La vérité commence par la maîtrise des doctrines, des concepts et finalement des mots. Comme le dit parfaitement le docteur, il existe une méconnaissance et donc une confusion concernant le terme de cabale : « dans la majorité des cas le mot de cabale n’évoque guère que l’idée de complot, voire quelques notions de magie plus ou moins noire. » Dans sa volonté de clarté pédagogique, Drach commence son ouvrage par cette définition : « le terme cabale, mot qui vient de l’hébreu, signifie enseignement, doctrine qu’on reçoit, c’est-à-dire, admet, sans examen, avec une foi entière, d’une autorité digne de toute notre confiance. » Afin de bien être clair sur les termes de son sujet, Plantey prend le temps de rappeler des définitions salutaires qui tordent le cou aux idées reçues : « La gnose orthodoxe n’est rien d’autres que la connaissance explicite des vérités révélées, la science de la foi. Le mot, avec l’idée qui s’y rattache, se retrouve dans l’Evangile (Luc 11,52) et dans les épitres des apôtres (1 Corinthiens 8,7 ; 13, 8) pour désigner, à côté de la foi qui adhère à la révélation sur l’autorité du témoignage divin, l’étude approfondie des dogmes à l’aide des lumières de l’Ecriture et de la tradition ». Plantey poursuit son explication : « la gnose est donc le naturel et le légitime exercice de la raison chrétienne : c’est un besoin pressant, pour quiconque pense, de rechercher à éclaircir les vérités révélées, à pénétrer les motifs et l’objet de la foi. » Il convient d’entendre la gnose comme la recherche de la vraie connaissance, et non pas l’assimiler à l’ésotérisme ou au gnosticisme qui relève d’une idéologie dualiste contraire à la croyance catholique (1). Pour appuyer son propos, il cite Clément d’Alexandrie qui écrivait déjà en son temps : « le nom de gnostique n’est mérité que par celui-là seul qui, ayant blanchi dans l’étude de l’Ecriture, garde la règle des dogmes apostoliques et ecclésiastiques. » Plantey continue sa réflexion en expliquant que l’enseignement suprême remonte à Adam lui-même. En effet la tradition, comprendre la transmission du vrai enseignement, ne subit aucune interruption depuis la création de l’homme : « La tradition primordiale, que rapporte le traité Pirké abot, issue d’Adam se déploie au fil des générations ; essence même de la religion catholique, cette tradition primordiale, selon saint Augustin, c’est déjà la religion catholique. C’est l’idée centrale de Paul Drach qui se fonde précisément sur l’évêque d’Hippone. » Saint Thomas d’Aquin lui-même enseignait les deux propositions suivantes : « 1) Adam reçut par la révélation une connaissance des sciences naturelles et surnaturelles supérieure, en certain sens, à celle qu’aucun homme ne possédera jamais, et il eut la mission de les transmettre à sa postérité. 2) Adam eut la science explicite de la Trinité, de l’Incarnation, de la Rédemption et de l’Eglise ; et cette science se conserva, à travers les siècles, sous la forme explicite, chez l’élite de l’humanité, sous la forme implicite dans le peuple. »
Il nous paraît évident que la tradition primordiale, qui est la seule vraie tradition, se montre très éloignée des dérives idéologiques de Guénon (2). Le préfacier avance l’idée suivante : « on voit bien que la tradition primordiale des ésotériques plus ou moins guénoniens ne saurait être autre chose que la conscience inexacte de cette tradition ». Si c’était simplement une « conscience inexacte »… Drach nous plonge au coeur des traditions et des enseignements profonds de l’Ancien Testament avec un savoir qui n’a d’égal que la pertinence de son propos. Ce dernier se trouve constamment circonstancié, dénué de tout sentimentalisme ou de faux semblant. Son but avoué, sans fard, reste de démontrer que l’Eglise Catholique est la seule héritière de l’Ancienne Alliance. Alors certes, l’enseignement de la cabale peut recouvrir une dimension non pas cachée, mais voilée qui peut en déranger certains. Drach en précise le sens : « Moïse avait la face voilée, pour ménager la vue faible des Juifs (Exode 29,35), mais Jésus-Christ s’est montré à visage découvert. » Cependant, même si les spécialistes de la Cabale semblent divisés sur le sujet, Drach pense que : « malheureusement l’ancienne et bonne Cabale s’est perdue en grande partie. » En parcourant les pages du traité de Drach, nous apprenons que les hébraïsants entendent par Cabale « science divine et philosophie divine. » Pourtant, l’ancien rabbin regrette vivement « que le seul nom de Cabale inspire, même à des hommes d’esprit et de savoir, nous ne savons quel sentiment d’effroi mêlé d’horreur. » De plus il rappelle très justement « que les docteurs hébreux n’ont cessé de proclamer que le Messie était l’objet final de toutes les prédications des voyants d’Israël. » Il enchaîne avec une idée fondamentale : « La Cabale, qu’on peut appeler la philosophie des Hébreux, lorsqu’elle était encore dans toute sa pureté, avait cela de particulier, qu’elle donnait ces notions sublimes auxquelles n’ont jamais pu arriver les plus profonds génies parmi les philosophes païens privés du secours de la révélation. » Il en profite également pour rejeter les accusations de panthéisme qui visent la Cabale des Hébreux. Par exemple, Adolphe Frank avait beaucoup critiqué la cabale dans son ouvrage (3). Toutefois, il avait dédicacé son travail à son maître en philosophie dont il était un fervent discipline, à savoir Hegel. Comme chacun sait Hegel ne se déclarait pas fervent adorateur du Dieu unique. La défense de Drach au sujet de la pureté doctrinale se montre à la fois surprenante et convaincante, de par les arguments proposés et les références mises en avant… Il termine son ouvrage de la meilleure des manières. Effectivement, il cite le Gloria en latin.
Le Docteur Plantey a eu une excellente idée de rééditer ce livre avec les Editions Via Romana. Sa préface est précieuse parce qu’elle nous permet de saisir les grandes lignes de la vie et de l’oeuvre de Drach. Sans elle, il aurait été ardu de s’y retrouver. Quant au traité de Drach, il se montre puissant et mystique. Après sa lecture, nous savons qu’il coexiste en réalité deux cabales comme l’enseigne Drach : « la première, la véritable cabale, dont l’enseignement remonte à Adam. Celle-ci fut transmise par la Synagogue. Et l’ensemble recouvre un caractère franchement chrétien. La seconde est en fait un mélange de magies, de théurgie, de superstitions ridicules » que nous considérons avilissantes pour l’esprit humain. Ce traité court, dense et puissant, rejette les fausses accusations à l’endroit de la cabale authentique en ayant préalablement défini ce qu’elle est réellement, à savoir une tradition orale compatible avec la pensée chrétienne…
Franck ABED